Signes barbares
Accueil du site > Langues & écritures > Les tribulations de l’écriture gothique

Les tribulations de l’écriture gothique

lundi 7 août 2017, par Alain

En se brisant en ogive l’arc roman devient gothique. De même l’écriture ronde, dite minuscule caroline, adoptée au temps de Charlemagne, se transforme en une écriture anguleuse : la textura (littera textura : lettre de forme). Gutenberg l’utilise en 1450 pour l’impression de sa première Bible latine. Avant la fin du XVe siècle l’écriture gothique est remplacée par l’écriture humanistique, d’origine italienne, dans la plupart des pays d’Europe à l’exception de l’Allemagne où elle se maintient.

Quand Luther fit paraître sa traduction de la Bible il exigea l’emploi de caractères gothiques car il pensait que «  les lettres latines empêchaient de bien parler allemand ». Il ouvrait ainsi un débat qui devait durer quatre siècles et n’est toujours pas clos de nos jours. Défenseurs et détracteurs de l’écriture gothique échangent des arguments souvent subjectifs. La mère de Goethe le supplie de rester allemand en refusant l’utilisation des caractères latins pour l’impression des ses ouvrages. En revanche, Jakob et Wilhelm Grimm stigmatisent l’écriture gothique, « cette écriture laide et informe qui donne une apparence barbare à la plupart des livres » et regrettent que « cette écriture dégénérée et sans goût soit appelée écriture allemande ». Écritures en guerre

En Allemagne les affrontements idéologiques à propos de l’écriture deviennent plus violents avec le développement du nationalisme. Dès 1886 Bismarck refuse de lire un livre allemand imprimé en caractères latins. En 1911, lors d’un vote au Reichstag, partisans et opposants de la Fraktur sont presque à égalité. Sous le IIIe Reich, tout en utilisant les caractères latins pour les livres scientifiques, on fait du gothique « l’écriture allemande » par excellence, au point qu’un décret de juillet 1937 en interdit l’usage aux éditeurs juifs. Mais le 3 janvier 1941, Hitler décrète que seule l’écriture latine, devenue à ses yeux « l’écriture normale », doit être utilisée et enseignée. L’écriture gothique est condamnée sous le prétexte qu’elle est une écriture juive, affirmation évidemment dénuée de tout fondement scientifique ou historique.

A cette incohérence fait écho la confusion qui règne jusqu’à maintenant. Pour les uns la Fraktur fut dévoyée puis sacrifiée par le IIIe Reich, pour d’autres elle reste l’emblème du nazisme. A l’opposé de la récupération malsaine des néo-nazis, on l’utilise en décoration bien au-delà des frontières allemandes. Sur l’enseigne d’une auberge ou une carte de vœux elle évoque l’harmonie et le bon vieux temps.